Le Barbier de Séville ...
rideau
le barbier de Seville

En février 1775, il reçoit enfin l'autorisation de faire jouer le Barbier. Ce n'est pas trop tôt : tout Paris frémit de curiosité. La pièce avait été « reçue unanimement » par les Comédiens Français le 3 janvier 1773, mise en répétition aussitôt, approuvée par les censeurs, soutenue par Sartines (ministre de l’intérieur), interdite en mars 1773, remise en chantier en décembre, interdite puis autorisée en janvier 74, interdite à nouveau le 10 février, sous la pression des amis de Goëzman . Depuis le Tartuffe, une pièce n'avait pas connu d'accouchement aussi difficile, ni aussi propice au succès, à condition qu'on lui laissât voir le jour. Mais Beaumarchais apporte à son œuvre un sens de « la promotion et des relations publiques » dont Molière était bien dépourvu. Il n'y a guère de salons influents où il n'ait déjà lu le Barbier depuis trois ans, en couvrant de honte à l'avance ceux qui lui auraient fait grise mine.
C'est un désastre. On a vaguement ri au premier acte. On s'est tu au second. On a sifflé à partir du troisième. Quand Beaumarchais publiera le texte du Barbier, il indiquera : « comédie représentée et tombée... le 23 de février 1775 ». Ce soir-là, Caron de Beaumarchais apparaît à tous comme un auteur définitivement raté. Figaro n'a pas passé la rampe. Les gens l'ont trouvé insolent et grossier. Ils ont reculé devant ce portrait du valet-confident dont ils ne peuvent plus se passer pour trouver les filles et les jeux. Beaumarchais, les dents serrées, au fond d'une loge, est le meilleur des journalistes pour décrire « la plus triste soirée. Vous eussiez vu les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir, les femmes, toujours si braves quand elles protègent, enfoncées dans les coqueluchons jusqu'au panache et faisant des yeux confus, les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma pièce... C'était une désertion totale, une vraie désolation. Les uns lorgnaient à gauche en me sentant passer à droite, et ne faisaient plus semblant de me voir, ah dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire : — Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? Car il faut en convenir, mon ami, votre pièce est la plus grande platitude du monde.

Beaumarchais et le Barbier  de Séville

Beaumarchais relève le gant. Nous sommes au jeudi soir. La seconde représentation est prévue pour le dimanche qui vient. Les Parisiens vont venir — et revenir — assister à la mise A mort de la pièce. Mais ils ne trouveront pas le même Barbier... ou plutôt, pris au piège de leur snobisme, ils vont retrouver le premier, le vrai, celui dont ils se gargarisaient en 1773 parce qu'ils avaient l'impression d'être dans la confidence.
En trois jours, Beaumarchais « se met en quatre » — c'est-à-dire en quatre actes. Aidé par les comédiens, qui aiment leur rôle et croient en lui, il gomme, gratte, allège, resserre et accélère le rythme. Il n'a pas grand mal : il lui suffit de supprimer presque tout ce qu'il a rajouté depuis un an — et le Barbier reparaît sous le Barbier.

Le Barbier, tombé à la première représentation, relevé et rajusté par l'auteur, eut un plein succès à la seconde. On y reconnut une restauration originale de l'ancienne comédie d'intrigue, rajeunie, agrandie, renouvelée, et les sifflets de la veille se changèrent en applaudissements. » Il les a obligés A s'applaudir eux-mêmes. C'est la dernière pirouette de Figaro. Madame du Deffand n'en revient pas : « J'étais hier A la comédie de Beaumarchais, qu'on représentait pour la seconde fois. A la première, elle fut sifflée; pour hier, elle eut un succès extravagant : elle fut portée aux nues, elle fut applaudie A tout rompre. »

anecdote
accueil
Accueil
Beaumarchais